Interview de Geoffroy Castelnau, Président d’ALTES ACCUEIL et DPSA Ile De FRANCE
Propos recueillis par Xavier Baron et Michel Platzer
ARTICLE PARU DANS LES CAHIERS DU CRDIA – JUIN 2022
[EXTRAITS]
Est-il possible de faire autrement dans les services aux environnements de travail ? Est-il possible d’innover, serait-ce à partir de vieilles recettes ? Est-il possible et rentable de proposer une meilleure valorisation d’activités constituées à plus de 85% de coûts salariaux ?
A partir de choix éprouvés, voire « classiques » tels le respect des hommes et la recherche de qualité, et à condition sans doute de renoncer à la course au volume, le positionnement de Geoffroy Castelnau en ferait (presque) un chef d’entreprise contestataire.
Sélectionner ses clients en nombre limité sur leurs attentes de qualité et en proximité, afficher une politique sociale volontaire y compris dans la reconnaissance d’acquis, ringards pour certains, comme l’ancienneté ou les heures supplémentaires, refuser de sous-traiter ou d’être sous-traitant et se revendiquer « pure player », participer enfin activement aux instances d’animation de la profession pour sa défense et sa promotion … autant de choix qui placent DPSA, Altes et Point Bleu du Groupe Sodesur en décalage avec les mantras des professions des Services aux Environnements de Travail (SET).
La course au volume et à la taille n’est pas la seule voie de réussite. Des offres agressives aux prix les plus bas, menant à des politiques de réduction systématique des coûts salariaux, ne constituent pas la seule politique commerciale gagnante.
La vision et l’expérience proposées tranchent avec l’approche industrielle et financiarisée fondée sur la standardisation, le volume et la recherche de compétitivité par les couts salariaux. Elles remettent en avant des valeurs anciennes, ancrées dans des convictions libérales et sociales, que certains trouveront passéistes. Elles peinent à convaincre des acheteurs trop éloignés des réalités, ignorants des conditions de la performance dans les services aux occupants, et pourtant dominants dans les décisions. Elles n’en constituent pas moins un possible retour vers un futur souhaitable et résolument serviciel.
Le règne des acheteurs
Les interlocuteurs des prestataires de services aux environnements de travail ne sont plus les directeurs des services généraux, ni les directeurs de la sécurité mais bien les directions des achats qui ne raisonnent que de manière quantitative, souvent sans contact réel avec le terrain ni compréhension des objectifs de qualité.
Si les discours des dirigeants évoquent encore la qualité du service rendu, les directeurs des achats attendent des taux horaires les plus bas possibles, suscitant même des offres anormalement basses, techniquement et réglementairement inatteignables. Ils sont même parfois directement primés personnellement sur cet objectif. La logique du « mieux disant » ne s’impose alors que très rarement face au rouleau compresseur du « moins disant ».
Lorsque les services achats expriment des demandes en dehors du prix, ils se contentent de relayer les exigences politiques des Directions Générales, notamment en matière de Responsabilité Sociétale et Environnementale (RSE). Il faut désormais mettre « de la RSE » là où il est exclu d’envisager de valoriser le référentiel qualité ou la plus discrète démarche de certification.
A contrario, la recherche de la qualité du service est essentielle pour nous. Nous avons recherché et obtenu de longue lutte avec l’AFNOR l’élaboration de normes métiers NF Services, en accueil (en 2008) et en sécurité (en 1999). Obtenir la certification est financièrement onéreux, mais nous en assumons les conséquences sur les prix. Cela nous conduit à travailler avec un nombre limité de clients qui comprennent, acceptent et participent à cette démarche qui rejoint leurs attentes (pour Sodesur, ni marché public, ni activité dans le retail de détail …).
La sécurité privée comme les activités d’accueil sont des marchés difficiles où s’exerce une très forte concurrence. Le secteur de la sécurité compte 11 000 entreprises, dont de très nombreuses entreprises uninominales. 70% des entreprises de ce secteur emploient moins de 50 salariés, 3200 sociétés comptent plus de 10 personnes et 350 seulement ont plus de 100 salariés. 200 sont adhérentes au Groupement des Entreprises de Sécurité (GES). Avec 35 M€ de CA et 900 agents, nous ne représentons que 3 % du marché (7 à 8 Md€), mais nous comptons parmi les 20 plus grandes sociétés de sécurité privée en France.
Si le secteur est mieux encadré depuis quelques années, la France reste dans une culture du prix qui tire la profession vers le bas. Il est incompréhensible par exemple que les pouvoirs publics ne jugent pas nécessaire d’imposer aux entreprises de sécurité privée une obligation de garantie financière, ou l’interdiction de la sous-traitance.
L’avenir est sans doute au Facility Management (FM). Mais pas dans le modèle qui s’est imposé en France
Le FM est évidemment au départ une bonne idée et un format d’avenir. L’association des services est un levier de performance. Elle est attendue des clients. Nous le voyons bien à notre échelle, nos deux métiers sont commercialement complémentaires et de nombreux clients apprécient d’avoir le même interlocuteur pour un package accueil/sécurité. Cette perspective est très présente dans les cultures servicielles anglo-saxonne et scandinave. L’une comme l’autre peuvent se révéler par ailleurs très dures en affaires. Elles s’appuient cependant sur un paradigme de valeur du service et pas simplement de son prix : quelle est la valeur de mon achat, à quoi me sert-il ?
Ces cultures ont généré un grand nombre de champions mondiaux des services … dont certains d’ailleurs désertent la France. Chez nous, peut-être sous l’influence de l’exemple de la grande distribution, les achats produisent une focalisation de la plus grande partie du marché sur la baisse du prix.
La demande d’offre globale existe, notamment dans les services aux occupants, les soft services, mais la bonne façon d’y répondre selon nous est l’association intelligente de pure players. Chacun dans son domaine peut développer des approches associant performance et qualité, sans sous-traitance excessive[1]. Sodesur exclut d’avoir plus d’un niveau de sous-traitance alors que dans la profession, on peut trouver jusqu’à 8 niveaux de sous-traitance, ce qui rend quasi impossible le contrôle du travail et de la qualité du service rendu.
Malheureusement, la plupart des FMer Français reproduisent et même amplifient cette perversité française dans les services aux environnements de travail ; une dérive opérée par les démarches des services achats des clients. Même d’origines diverses, les acteurs du FM n’intègrent pas. Ils prennent tout et sous-traitent une grande partie. Ils acceptent et anticipent même de passer sous les fourches caudines des services achat. Cela les condamne à reproduire à leur niveau vis-à-vis de leurs sous-traitants l’attitude des acheteurs de leurs clients, à faire passer la qualité au second plan pour ces sous-traitants et in fine, pour leurs clients.
Une politique sociale comme condition de la performance économique
Nous développons plusieurs activités complémentaires : la sécurité privée, l’accueil et la formation, au service exclusif des entreprises. Dans ces activités, la qualité repose avant tout sur les compétences des salariés et la fiabilité de leur travail. Les activités de sécurité sont exercées par DPSA Île-de-France qui compte 900 agents en CDI à temps plein pour 80 clients environ, les activités d’accueil par Altes Accueil comptent 200 hôtesses. Nous avons également développé en complément des activités de formation et donc d’ingénierie de formation, avec Point Bleu qui propose à nos clients ou à d’autres entreprises, y compris certains de nos concurrents, 19 modules spécifiques à l’accueil et à la sécurité en entreprise.
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LES CAHIERS DU CRDIA – Juin 2022
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